Une bonne expérience utilisateur c’est finalement procurer une interaction fluide et agréable entre un utilisateur et un produit. L’intérêt de l’utilisateur est alors au centre. Ces expériences sont conçues grâce à des techniques de recherche permettant d’avoir une très bonne connaissance de ces derniers. Il s’agit de comprendre les modèles mentaux des utilisateurs, ainsi que leurs attentes et besoins afin de leur proposer la meilleure expérience possible.
Malheureusement, il arrive que certains détournent cette approche et utilisent leur connaissance pour le manipuler et l’amener à prendre des décisions qui ne sont pas forcément dans son intérêt mais bien dans celui de l’entreprise.
C’est ce qu’on appelle les “Dark Patterns” ou le “Dark UX”.
Origines
Le terme “Dark Pattern” a été inventé par le docteur en sciences cognitives Harry Brignull en 2010. Il explique que souvent lorsqu’un service est mal conçu, on pense que le concepteur a été négligeant ou paresseux sans pour autant avoir de mauvaises intentions. Les dark patterns, quant à eux ne sont pas des erreurs. Ils sont soigneusement conçus sur la base d’une solide compréhension de la psychologie humaine, dans le but de servir les intérêts de l’entreprise et non ceux de l’utilisateur.
L’objectif pour ces entreprises peut être de :
- Collecter des données personnelles
- Augmenter le panier moyen
- Augmenter le trafic sur leur site web
- Améliorer le taux de clic
- ...
De nombreuses entreprises, très connues, ont recours à ce genre de procédés. C’est par exemple le cas d’Amazon, Facebook ou encore de LinkedIn...
Nous vous invitons d’ailleurs à suivre ce compte Twitter qui répertorie les exemples de dark patterns dans son « hall of shame » : @darkpatterns.
Quelques techniques et exemples...
1. Appâter et attraper (Bait and switch)
C’est lorsque vous entreprenez une action sur un site et que cela entraîne une autre action ou contrepartie non-désirée qui n’était pas ou mal indiquée initialement.
Prenons l’exemple du site Justfab. En apparence il s’agit d’un site de vente de chaussures classique qui met en avant des prix très avantageux ainsi que la livraison gratuite de leurs produits. Tout au long du parcours sur le site, on parle de devenir client VIP mais à aucun moment on ne dit, de manière explicite et visible, que l’utilisateur s’engage en réalité à prendre un abonnement de 39,95€ par mois. Bien entendu le mode de résiliation est complexe et l’information n’est pas facile à trouver. Souvent les clientes se rendent compte de la supercherie après plusieurs prélèvements. Il y a énormément de forum avec des témoignages de clientes mécontentes, ce qui ne semble pour autant pas convaincre la marque de changer son modèle de vente.
2. Pop-up de culpabilisation (Confirmshaming)
C’est l'art de manier les mots pour faire culpabiliser l'utilisateur s’il refuse de faire une action.
Cette méthode peut notamment être employée pour :
- Vous pousser à souscrire à une newsletter ;
- Vous empêcher de vous désinscrire.
Les 2 exemples ci-dessous parlent d’eux-mêmes.
3. Publicités déguisées (Disguised Ads)
Ce sont des publicités qui, comme leur nom l'indique, apparaissent dans les pages comme si elles faisaient partie du contenu ou de la navigation de la page. Ce qui suppose que l’utilisateur sera plus enclin à cliquer dessus.
L’exemple ci-dessous se trouve sur le site Dafont. Le bouton permettant de télécharger la police de caractères sélectionnée se trouve en petit en haut à droite (cadre rouge) tandis qu’une publicité indiquant un téléchargement est positionnée juste à côté des polices (cadre noir). Cette publicité reprend les mêmes couleurs que le site. L’utilisateur peut penser qu’il s’agit du bouton de téléchargement de la police et cliquer dessus par erreur.
4. Perpétuation d’abonnement (Force Continuity)
C'est lorsque vous souscrivez à un essai gratuit qui nécessite de saisir vos données bancaires. Lorsque la période d’essai prend fin vous commencez à payer sans en avoir été averti au préalable. Et bien sûr il n’y a pas de manière simple de vous désengager.
C’est notamment la méthode qu’utilise Amazon pour encourager la souscription à Amazon Prime.
En effet, lorsque vous achetez un article sur Amazon, la plateforme vous propose en même temps que votre achat de souscrire à un essai gratuit du service Prime en rentrant simplement ses coordonnées bancaires. Bien sûr, aucune alerte ne vous prévient que votre période d’essai touche à sa fin et il est ensuite difficile de trouver la fonctionnalité de désabonnement.
5. Spam de contacts (Friend Spam)
C’est lorsqu'un site ou un jeu demande un accès à vos données (comme vos contacts). Le site prétend utiliser ces données pour une expérience plus adaptée à vos attentes, mais s’en sert par la suite sans votre consentement.
C’est ce que faisait LinkedIn lors du processus d’inscription. Il accédait à tous vos contacts pour, disait-il, vous aider à retrouver des contacts, et en fait leur envoyaient systématiquement un email en votre nom pour qu’ils s’inscrivent à leur tour.
En 2015, LinkedIn a été condamné à payer une indemnité de 13 millions de dollars à cause de cette pratique jugée illégale.
6. Où est la sortie? (Roach Motel)
C’est lorsque vous vous êtes inscrit à une newsletter ou avez créé un compte sur un site et que vous souhaitez vous désinscrire ou le supprimer. Ça devient alors un vrai labyrinthe pour trouver la sortie.
C’est le cas d’Amazon : l’inscription est vraiment très simple, fluide. Mais lorsqu’il s’agit de se désinscrire ça devient le parcours du combattant. La preuve en image…
https://www.youtube.com/watch?time_continue=130&v=kxkrdLI6e6M&feature=emb_logo
7. Questions pièges (Trick Questions)
Pour cette technique on essaie de créer de la confusion chez l’utilisateur en utilisant une tournure de phrase complexe, si bien qu’il ne sait pas réellement ce qu’il accepte.
Par exemple : « Sky vous contactera à propos des produits et de services que vous êtes susceptibles d’aimer à moins que vous cliquiez pour désactiver » ou encore « Ne pas décocher cette case si vous souhaitez être contacté via email…. ».
8. La peur de manquer
C’est lorsqu’on fait croire à l’utilisateur qu’un produit est très demandé en le mettant sous pression pour qu’il prenne rapidement la décision d’acheter. L’utilisateur croît que s’il n’achète pas maintenant il va passer à côté de cette opportunité.
Parmi les spécialistes en la matière, on retrouve beaucoup de sites de réservation d’hôtels en ligne dont booking.com:
« 5 utilisateurs consultent cette annonce » « Plus qu’1 chambre disponible ». Tout est là pour mettre l’utilisateur en situation d’urgence. Booking va même jusqu’à afficher les hôtels indisponibles. Bien que cette information n’ai aucune utilité pour l’utilisateur, elle contribue à le mettre dans une situation de stress.
En décembre 2018, la marque Boohoo a été accusée de proposer de fausses promotions. En effet, elle mettait l’utilisateur en situation d’urgence en affichant en haut de page sur son site un compteur qui simulait le temps restant jusqu’à la fin de la promo. Hors il s’agissait d’un faux compteur, arrivé à 0 les promos continuaient. Encore une manière de mettre l’utilisateur sous pression.
Conséquences de ces pratiques
Même si à court terme ces entreprises sont gagnantes (nouveaux clients, plus de ventes…), ce n’est pas une stratégie viable sur le long terme.
Les risques sont multiples :
- Porter atteinte à l’image de marque : en effet ce genre de pratique peut donner une mauvaise image de la marque auprès des consommateurs.
- Plus de difficulté à acquérir de nouveaux clients : Il est devenu monnaie courante de se renseigner avant d’acheter un produit sur un site en consultant les avis sur la marque, soit via le bouche à oreille ou en allant sur des sites dédiés à cela. Ces personnes feront sans doute le choix d’aller chez un autre vendeur.
- Moins de fidélisation : Lorsqu’un utilisateur est tombé dans le piège une fois, il sera moins enclin à acheter de nouveau sur le site.
- Un procès!!! Comme ça a été le cas pour LinkedIn ou Boohoo…
Notre recommandations: un design éthique
En tant que UX designer nous militons pour un design éthique c’est-à-dire un design qui laisse un maximum de maîtrise à l’utilisateur.
Des spécialistes du domaine ont imaginé des solutions:
- Gary Bunker en 2013 a suggéré que les designers adhèrent à un code de conduite éthique où la confidentialité, l’honnêteté et le respect seraient des éléments essentiels. Mais rien n’obligerait les concepteurs à suivre ces règles.
- Nir Eyal, l’auteur du livre Hooked publié en 2014, propose une autre solution. Dans son livre, il parle beaucoup du design de persuasion et il explique comment une bonne compréhension des sciences cognitives peut ajouter de la valeur à l’expérience utilisateur. Il parle du « Modèle de Hook » qui donne au designer le pouvoir de concevoir des produits addictifs. Il réalise que son modèle peut être mal utilisé et poser des problèmes de moralité. Il imagine donc la matrice de manipulation. Cette matrice sert à aider les designers à répondre à la question: « Suisje en train d’arnaquer les utilisateurs? »
- Enfin une solution récente mais qui fait ses preuves : le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). En vigueur depuis 2018, le RGPD encadre le traitement des données personnelles sur le territoire de l'Union européenne. Il renforce le contrôle par les citoyens de l'utilisation qui peut être faite des données les concernant.
Conclusion :
D’un point de vue éthique et en prenant en compte le fait que le souvenir d’une mauvaise expérience reste bien plus ancrée que celui d’une expérience positive, il est important de ne pas chercher à duper ses utilisateurs. Le travail d'un bon UX Designer est de concevoir une expérience fluide et agréable qui permettra à l’utilisateur de créer un lien affectif avec la marque. Si le lien de confiance avec celle-ci est rompu, cela pourra engendrer de gros risques pour la pérennité de l’entreprise.
We Create Continuous Relationship Experiences !